PLAN
La manipulation des mycobactéries tuberculeuses, bactéries hautement pathogènes (microorganismes de classe 3) et transmises par inhalation d’aérosols, a toujours exigé des précautions particulières. Ainsi, auparavant, beaucoup de laboratoires consacraient une de leur salle à leur recherche. Actuellement, on doit manipuler les mycobactéries en laboratoire de microbiologie P3. Ce laboratoire est en continuelle dépression afin d’empêcher la sortie de microorganismes.
Les mycobactéries présentent des propriétés particulières :
Dans les années 1990, le diagnostic des infections à mycobactéries a bénéficié de l’essor des méthodes de biologie moléculaire. En effet, ces méthodes ont considérablement réduit la durée à la fois du diagnostic et du repérage des mycobactéries résistantes aux antibiotiques.
Les problèmes de sécurité et les propriétés des mycobactéries font que leur mise en évidence, leur identification et l’étude de leur sensibilité aux antibiotiques nécessitent des méthodes adaptées.
La recherche des mycobactéries est pratiquée à la demande du médecin mais certaines données, comme une cytologie présentant un grand nombre de lymphocytes, peuvent orienter l’analyse vers une infection à mycobactéries (voir chapitre liquide céphalo-rachidien et liquide pleural). Voir le schéma récapitulatif du diagnostic direct des infections à mycobactéries.
La recherche des mycobactéries nécessite de prendre des précautions particulières car :
Toute manipulation génératrice d’aérosol présente un danger. Le risque apparaît dès les premières étapes de l’analyse et il est maximal au moment de la manipulation des cultures.
La protection du personnel exige de prendre des mesures de niveau de risque 3.
source ancien site de l’université Marseille-Timone
Comme les mycobactéries ont une croissance lente, il faut absolument éviter de contaminer les échantillons. On les recueille dans un tube ou un pot stérile. Puis on les conserve à + 4°C jusqu’au traitement.
Prélèvements respiratoires | Ce sont principalement des expectorations (crachats), des tubages gastriques, des aspirations trachéales ou des lavages broncho-alvéolaires (LBA). Comme l’excrétion des bacilles est discontinue et pour compenser le manque de sensibilité des méthodes utilisées, il est recommandé, sauf pour le LBA, de réaliser trois prélèvements à un jour d’intervalle. On recueille l’expectoration, de préférence, le matin au réveil, à la suite d’un effort de toux, pour ramener les sécrétions bronchiques accumulées pendant la nuit. Les tubages gastriques sont une alternative lorsque les malades ne peuvent pas cracher, ils permettent de recueillir les sécrétions bronchiques dégluties pendant le sommeil. |
Urines | On recueille les urines du matin |
Hémocultures | On recueille le sang dans un tube ou un flacon contenant un agent lytique permettant de libérer les mycobactéries présentes dans les leucocytes. Pour des hémocultures à visée diagnostic, on ensemence directement des flacons adaptés. On place ensuite les flacons dans des automates de lecture : BD BACTEC™ 9050, BacT/ALERT /3DTM. La présence des mycobactéries dans le sang est constante mais comme elles sont en faible quantité, il est recommandé de pratiquer trois prélèvements dans la journée afin d’augmenter le volume ensemencé. |
Liquide de ponction | Par exemple : liquide pleural, liquide céphalo-rachidien, liquide d’ascite, liquide articulaire. Comme ces liquides sont souvent pauvres en mycobactéries, il faut en recueillir suffisamment. Ainsi :
|
Lésions cutanées | Prélever à la périphérie des lésions. |
Biopsies | Prélever au moins 1 g de tissu dans un tube sec stérile. Pour éviter la dessiccation de fragments de très petite taille, on ajoutera 2 à 3 gouttes d’eau distillée ou d’eau physiologique stérile. |
Effectivement, une décontamination est indispensable pour éliminer la flore commensale ou les germes provenant d’une souillure lors des prélèvements. Grâce à l’imperméabilité de leur paroi, les mycobactéries résistent à ce traitement. Par exemple, il est nécessaire de décontaminer les expectorations et les urines.
En revanche, les prélèvements provenant de sites fermés (LCR, liquides de séreuses, biopsie ganglionnaire, moelle osseuse, sang, pus de collection fermée…) ne nécessitent pas de décontamination.
La décontamination permet également de fluidifier (on dit aussi « homogénéiser ») les expectorations et ainsi de libérer les bactéries emprisonnées dans les mailles du mucus.
Notons qu’il existe différentes techniques pour assurer cette Décontamination / Fluidification.
Cette dernière méthode est désormais la plus utilisée. A l’inverse des deux premières, elle permet par la suite d’ensemencer tous les milieux de culture, y compris les milieux liquides. Elle n’a pas d’effet inhibiteur sur l’amplification génique.
Le détail de ces techniques est présentées ici.
Des kits complets permettant de réaliser la décontamination selon la méthode de Kubica sont commercialisés : Myco-RAL® (RAL), MycoProSafe® (Salubris), BBL MycoPrep® (Becton Dickinson), NacPac (Biocentric).
© Pascal Fraperie
Pour les prélèvements susceptibles de contenir une flore résistante, en particulier pour les patients mucoviscidosiques, le traitement avec le mélange N-acétyl L-cystéine et soude est poursuivi par un traitement à l’acide oxalique.
Les produits étant généralement pauvres en mycobactéries, les prélèvements, décontaminés ou non, sont concentrés par centrifugation à 3000 tours/min pendant 20 à 30 minutes avec une centrifugeuse munie de nacelles étanches et réfrigérée.
On ouvre ensuite les nacelles sous un PSM.
Fig.7 : Centrifugeuse avec nacelles étanches
© Pascal Fraperie
Pour éviter de contaminer le culot de centrifugation, les milieux de culture sont ensemencés en priorité.
En outre, après l’ensemencement des milieux, il est possible de limiter le risque infectieux en plaçant les culots de centrifugation au bain-marie à +95°C pendant 15 min. Les frottis et les éventuelles analyses par biologie moléculaire sont réalisées ensuite.
Cette précaution se justifie pleinement pour les laboratoires non classés P3.
Notons que les résultats rendus doivent être quantifiés. En effet cette quantification est nécessaire de manière à :
Pour cela les frottis doivent être réalisés selon un protocole standardisé qui recommande d’étaler l’échantillon :
Les frottis sont préparés sous un PSM (indispensable en particulier lorsque les culots de centrifugation n’ont pas été chauffés), séchés sur platine chauffante puis fixés en recouvrant le frottis d’éthanol (10 min minimum).
La paroi des mycobactéries est riche en acides gras à longues chaînes carbonées (60 à 90 C). Or ces acides gras rendent la paroi relativement imperméable au colorant. Ainsi pour colorer les mycobactéries, il faut utiliser des colorants concentrés et on renforce quelque fois leur action par chauffage.
En revanche, une fois colorées, les mycobactéries résistent à l’action décolorante des acides et de l’alcool, c’est pourquoi on les appelle des bacilles acido-alcoolo-résistants (BAAR). Afin d’améliorer le contraste, on recouvre ensuite les frottis d’un contre-colorant.
Diverses colorations utilisent leur propriété d’acido-alcoolo-résistance. Les principales étapes de ces colorations et les résultats obtenus sont présentées dans le tableau 2. La préparation des colorants et le mode opératoire détaillé est sur la page Techniques de coloration des mycobactéries.
Notons qu’avec la coloration à l’auramine, les BAAR sont plus facilement détectables car les lames, observées au grossissement X 250, sont plus rapidement parcourues. Pour cette raison, cette coloration est de plus en plus pratiquée, surtout lorsqu’il y a un nombre important de lames à lire. Par contre, la présence de BAAR à la coloration à l’auramine doit être confirmée par la coloration de référence = la coloration de Ziehl-Neelsen (éventuellement sur la même lame s’il y a peu de prélèvement).
Sécurité : l’auramine est considérée comme un agent cancérigène de classe CARC3. |
Ziehl-Neelsen | Kinyoun | Coloration à l’auramine | |
Étape de coloration | Fuchsine à 0,1 g/L à chaud | Fuchsine à 0,4 g/L à froid | Auramine (colorant fluorescent) |
Étape de décoloration | 2 min avec acide nitrique au 1/3 | 3 min dans un mélange acide/alcool | 3 min dans un mélange acide/alcool |
Contre coloration | Bleu de méthylène phéniqué | Bleu de méthylène | Rouge thiazine |
Aspect des BAAR | Rouges vifs sur fond bleu | Rouges pâles sur fond bleu | Vert-jaune brillant sur fond rouge sombre |
Observation | Microscope traditionnel au grossissement X1000 | au microscope traditionnel au grossissement X1000 | Microscope à fluorescence au grossissement X250 |
Commentaires sur la méthode | Lecture des lames longue | Lecture des lames longue | Méthode sensible Lecture beaucoup plus rapide car à un grossissement plus faible |
Notons que les résultats doivent utiliser l’appellation « B.A.A.R » et non « bacilles tuberculeux ». En effet un BAAR n’est pas obligatoirement une mycobactérie tuberculeuse, il peut s’agir aussi d’une mycobactérie non tuberculeuse ou plus rarement d’une bactérie appartenant à un autre genre (Nocardia, Gordonia, Tsukamurella, Rhodococcus)
Source : Remic 2010
3 longueurs au grossissement X100 représentent environ 100 champs soit 20 minutes de lecture
Un résultat positif pour les prélèvements respiratoires indique que le sujet est contagieux dans le cas de tuberculose. Ensuite, les tests de biologie moléculaire après amplification génique permettent de déterminer rapidement s’il s’agit d’une mycobactérie tuberculeuse.
Dans ce cas, le résultat doit être transmis rapidement afin d’isoler le malade et d’instaurer un traitement.
Un résultat négatif à l’examen direct ne peut être rendu sans une observation méthodique de la lame pendant un minimum de 20 minutes. En outre, il ne signifie pas qu’il n’y a pas de mycobactéries dans le prélèvement. En effet, il faut attendre le résultat des cultures pour conclure à une absence de mycobactéries. Ainsi dans la moitié des cas de tuberculose pulmonaire, les examens microscopiques sont négatifs et la tuberculose diagnostiquée grâce à la culture ou l’amplification génique.
Les examens microscopiques manquent donc de sensibilité, ils sont positifs seulement si la concentration bacillaire au moins égale à 104/mL. A l’inverse, les techniques d’amplification génique, plus coûteuses, présentent une meilleure sensibilité.
Les mycobactéries sont des bactéries très exigeantes.
Par exemple, Mycobacterium tuberculosis exige :
Ces milieux sont placés dans des tubes et coagulés à la chaleur en position inclinée. Les principaux éléments de ces milieux ainsi que leur rôle sont présentés dans le tableau 3. La composition précise de ces milieux est présentée à la page Composition des milieux de culture.
Milieu de Loewenstein Jensen |
|
Milieu de Coletsos | Il est plus riche et de composition plus complexe. Ainsi, il convient particulièrement aux mycobactéries les plus exigeantes. Il contient du pyruvate de sodium (favorise la culture de M. bovis et M. africanum), une solution d’oligoéléments et davantage de jaune d’œuf. |
Les milieux LJ et Coletsos sont ensemencés avec 0,2 mL de culot de centrifugation, les bouchons des tubes sont dans un premier temps dévissés pour permettre l’évaporation de l’inoculum (3 à 6 jours) et vissés ensuite.
Les milieux sont incubés sur des portoirs spéciaux en position très inclinée, la surface du milieu étant, dans ce cas, horizontale. (Fig. 8)
Mycobacterium tuberculosis donne des colonies caractéristiques sur milieu Loewenstein-Jensen (Fig.9) : colonies rugueuses en « chou-fleur » à croissance eugonique (= de façon foisonnante). Cet aspect caractéristique est obtenu en 21 à 28 jours.
Fig 8 : Étuve pour la culture des mycobactéries sur milieu en pente |
Fig 9 : Aspect des colonies de Mycobacterium tuberculosis |
Ils dérivent du milieu de Middlebrook. Le milieu 7H10 qui doit être supplémenté en OADC (acide oléique, albumine, dextrose et catalase), et le milieu 7 H11 (dans lequel il faut ajouter de l’hydrolysat de caséine) sont commercialisés en poudre et peuvent être coulés en boîtes de Pétri ou en tubes. On place les cultures sur boîtes dans une atmosphère contenant 10% de CO2. Ces milieux ne sont pas utilisés couramment ; certains laboratoires spécialisés les utilisent pour étudier la sensibilité à quelques antibiotiques. |
Exemple : les tubes BBL MGIT® de Becton Dickinson
MGIT = Mycobacteria Growth Indicator Tube
Ils contiennent un bouillon Middlebrook 7H9 et du pentahydrate de ruthénium piégé dans du silicone au fond du tube. Lorsque les mycobactéries se développent, elles consomment l’oxygène présent dans le tube. Le ruthénium est alors réduit et devient fluorescent orangé lorsque le tube est exposé sous une lampe UV à 365 nm (Fig.11).
Pour que la croissance soit détectable, il faut bien visser le bouchon.
Éventuellement, l’incubation et la lecture peuvent être automatisées.
Bien que ce critère ne soit pas retenu pour détecter la croissance, on remarque chez les tubes positifs, la présence d’une turbidité non-homogène ou de petits grains ou flocons dans le milieu de culture (Fig 12).
Avant de les ensemencer, on ajoute :
Notons que ces milieux permettent une croissance plus rapide des mycobactéries. En effet, elles cultivent en moyenne 2 fois plus vite sur ces milieux que sur les milieux solides.
Ils présentent cependant quelques inconvénients : ils se contaminent plus facilement que les milieux solides et certaines espèces n’y cultivent pas. C’est pourquoi il est indispensable d’ensemencer au minimum deux milieux solides (un Löewenstein-Jensen et un Coletsos) et un milieu liquide.
Fig 11 : Lecture de tube MGIT | © Pascal Fraperie |
Les mycobactéries tuberculeuses sont toujours cultivées à 37°C. En revanche, la température optimale de croissance varie au sein des mycobactéries non tuberculeuses. Ainsi, pour ces mycobactéries, les milieux seront incubés à 30°C, 37°C et 42°C.
Une surveillance journalière des cultures, la première semaine d’incubation, permet d’éliminer les tubes en cas de contamination. En outre elle permet de détecter la croissance rapide de certaines mycobactéries non tuberculeuses (atypiques).
Le délai de croissance et la pigmentation des colonies aident à l’orientation de l’identification des mycobactéries. Cependant, ce délai de croissance dépend également de la richesse du prélèvement en mycobactérie (Voir la page Influence de la concentration en mycobactéries sur le délai de croissance)
Dans tous les cas, on réalise un examen microscopique afin de s’assurer que ce sont bien des BAAR.
Pour les laboratoires réalisant de nombreuses cultures, des automates, comme le BACTEC® MGIT® 960, assurent l’incubation et la détection de la croissance.
Ces automates font également l’antibiogramme des mycobactéries grâce à des tubes MGIT contenant des antibiotiques (Voir la page Antibiogramme des mycobactéries tuberculeuses)
Fig 14 : le BACTEC® MGIT® 960 © Pascal Fraperie |
Il est essentiel de vérifier, grâce à une coloration de Ziehl, que toute culture positive correspond bien à celle d’une mycobactérie et qu’il n’y a pas de contaminant (dans ce dernier cas, une décontamination de la culture est nécessaire pour poursuivre l’analyse).
Après avoir ensemencé les milieux et avant de préparer les frottis, un aliquote du culot de centrifugation peut être mis de côté et conservé au réfrigérateur.